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Le château de Miolans, classé Monument historique depuis 1944, est situé à 550 m. d’altitude sur un escarpement rocheux qui domine la Combe de Savoie.
Le noyau initial du château se trouve à l’emplacement de la tour Saint-Pierre, donjon primitif construit par les seigneurs de Miolans dès le XIIe siècle.
A la fin du XIVe siècle, l’agrandissement du château entrepris par Jean de Miolans et son adaptation aux progrès de l’artillerie réalisée sous Anthelme IV (XVe siècle) consacrent la puissance et l’autonomie de cette famille implantée non seulement en Savoie mais aussi en Dauphiné et en Viennois. Après l’extinction de la dynastie en 1523, le château est cédé au duc Charles III de Savoie mais il s’avère militairement dépassé. Transformé en prison d’Etat de 1564 à 1792, la forteresse compta le marquis de Sade parmi ses plus célèbres prisonniers. La famille Guiter, propriétaire du monument depuis 1869, a entrepris sa restauration et l’ouvre aujourd’hui au public.
Le gardien de la vallée de l’Isère
Miolans est l’un des monuments les plus importants du patrimoine savoyard. Il occupe une position particulièrement stratégique qui nous permet de mieux comprendre son rôle dans l’histoire.
Ainsi, au Moyen Age, il contrôlait depuis son rocher l’une des principales routes transalpines : celle qui permettait de rejoindre l’Italie par la vallée de la Maurienne. Il participait aussi avec plusieurs autres châteaux comme Montmélian, Montmayeur ou Charbonnières à la protection de la région contre les attaques dauphinoises. Son intérêt stratégique attira très tôt l’attention des hommes. Si certains éléments d’architecture peuvent laisser penser à une occupation du site dès l’époque romaine, le château et sa chapelle sont mentionnés pour la première fois dans les archives en 1083. Depuis la fin du XIe siècle, il évolua tout au long du Moyen Age sous l’influence de la puissante famille des seigneurs de Miolans qui le dotèrent d’un système de défense très élaboré. Qualifié « d’exemple le plus parfait de l’art militaire jusqu’à la fin du XVe siècle » (J. Formigé), on y observe encore de nombreux éléments défensifs remarquablement conservés : deux enceintes, plusieurs fossés, des galeries et des portes protégées, des tours et de nombreuses meurtrières.
Depuis l’entrée jusqu’au cœur du château (la « haute cour »), on devait franchir un grand nombre d’obstacles. Le plus caractéristique est certainement le chemin d’accès : l’ennemi devait s’engager dans un passage étroit, entre l’enceinte extérieure et la muraille du château proprement dit, et avancer sous le feu des défenseurs qui pouvaient l’atteindre pratiquement de toute part. Le seul passage voûté qui se trouve dans ce chemin est même percé de trous (des « assommoirs ») pour écraser l’assaillant sous les projectiles. Tout devait inspirer la crainte et impressionner les amis comme les ennemis des Miolans.
Ainsi, le donjon, le bâtiment le plus imposant où logeaient les seigneurs, mesure plus de vingt mètres de hauteur et domine l’à-pic sud, du côté de l’Isère. Il compte six niveaux auxquels on accède par un escalier à vis latéral. On y remarque les cheminées médiévales, les fenêtres à meneaux et plusieurs blasons sculptés, témoins de la grandeur passée.
Le château fort des seigneurs de Miolans (XIe-XVIe s.)
La famille de Miolans comptait parmi les plus anciennes et les plus puissantes de Savoie. La première mention des seigneurs de Miolans apparaît dans des documents de 1081 et 1083. On leur attribue la devise « Force m’est » et le blason « Bandé d’or et de gueules » (selon A. de Foras). Ils dominaient le « Val de Miolans », c’est-à-dire la partie de la vallée de l’Isère depuis Grésy-sur-Isère jusqu’à Cruet. Les Miolans occupaient des fonctions importantes et étaient particulièrement proche des princes de Savoie. Ainsi, Geoffroy de Miolans accompagna le comte Amédée III en Terre Sainte lors de la deuxième croisade (1147). Les membres de cette puissante famille ne s’illustraient pas seulement lors des batailles, ils étaient également nombreux parmi les gens d’Eglise : Aymon Ier (1276) et Aymon II (1308), par exemple, furent évêques de Maurienne. Citons également Urbain de Miolans qui fut évêque de Valence et de Die au début du XVIe siècle.
Les Miolans atteignirent l’apogée de leur puissance de la fin du XIVe siècle au début du XVIe siècle. A cette époque, plusieurs mariages conclus avec d’importantes familles leur permirent d’accroître leur puissance. Ainsi, à la fin du XIVe siècle, Jean de Miolans, conseiller du duc Amédée VIII, épousa une riche héritière, Agnès de Roussillon. Près d’un siècle plus tard, Anthelme de Miolans, bailli puis maréchal de Savoie, épousa Gilberte de Polignac, héritière d’une autre puissante famille (les Montmayeur), dont le dernier représentant, Jacques de Montmayeur, s’était éteint sans héritier légitime.
Mais la famille de Miolans devait à son tour disparaître. Elle s’éteignit en 1523 lorsque Urbain de Miolans, dernier héritier mâle en ligne directe, mourut. Sa nièce, Claudine, céda alors le château au duc de Savoie Charles III. Ce dernier songea d’abord à prolonger la vocation militaire du site pour protéger la vallée de l’Isère. Mais les défenses de cet ancien nid d’aigle médiéval n’étaient plus à la hauteur des exigences techniques du XVIe siècle et ne pouvaient donc résister à un ennemi bien armé. Faute de mieux, le duc Emmanuel-Philibert décida alors de transformer le château en prison d’Etat. La plupart des niveaux des tours du château, qui servaient au Moyen Age de pièces d’habitation, furent transformés en cellules. Pour éviter les évasions, on ajouta de multiples portes et grilles à l’ancienne résidence seigneuriale.
Miolans devient prison d’Etat (XVIe-XVIIIe s.)
_ Le château de Miolans a ainsi joué dans les Etats contrôlés par la Maison de Savoie le même rôle que celui de la Bastille pour les rois de France. On le surnomme d’ailleurs souvent « la Bastille savoyarde ». Ses cellules étaient réservées aux prisonniers incarcérés sur ordre des ducs de Savoie, devenus rois de Piémont-Sardaigne au début du XVIIIe siècle. On compte 12 prisons réparties entre le donjon et la tour Saint-Pierre, auxquelles sont attribuées des noms qui reflètent bien les conditions de vie qui régnaient à l’intérieur de chacune d’elles : de la plus difficile (« l’Enfer ») à la meilleure (« le Paradis ») en passant par « le Purgatoire » et « l’Espérance ». Les premiers prisonniers sont mentionnés dès 1564. Jusqu’en 1792 et l’entrée des troupes révolutionnaires françaises en Savoie, on compte près de 200 prisonniers enfermés à Miolans. S’il est vrai que l’on conduisait à Miolans ceux qui bravaient l’autorité du Prince, on y trouvait aussi tout ceux qui dérangaient l’ordre social de l’époque et que l’on voulait retirer de façon sûre et discrète : des marginaux, des fous, des personnages scandaleux… On enfermait également de nombreux jeunes nobles, à la demande de leur propre famille, à cause de leur conduite indigne ou autres « friponneries ». Ce type de comportement s’observe plus particulièrement au XVIIIe siècle et Miolans était souvent le dernier recours de familles désespérées, soucieuses d’éviter un scandale public qui aurait pu nuire à leur réputation. Parmi les plus « célèbres » prisonniers de Miolans, on retient le Père Monod (1640-1644), ministre de la régente Christine de France ; l’auteur italien Pietro Giannone, incarcéré entre 1736 et 1738 à cause de ses écrits ; et le sulfureux marquis de Sade (1772-1773), détenu plusieurs mois sur les ordres de sa propre belle-mère, Madame de Montreuil, qui lui reprochait sa conduite scandaleuse. Certains prisonniers nous rappellent d’autres évènements particulièrement tragiques de l’époque. En effet, à la fin du XVIIe siècle, trois familles protestantes furent incarcérées suite à la guerre entreprise par le duc Victor Amédée contre les Vaudois vivant dans les vallées orientales des Alpes. Au début du XVIIIe siècle, trois Piémontaises, accusées de sorcellerie, furent emprisonnées et torturées au château.
De l’abandon au sauvetage de Miolans
En 1792, les troupes révolutionnaires françaises entrèrent en Savoie. Elles ne trouvèrent à Miolans que 7 prisonniers d’Etat. La forteresse fut alors mise aux enchères en 1794, sans succès. Livrée à l’abandon, elle fut pillée par les hommes et dévastée par les intempéries du XIXe siècle. Finalement, le château fut sauvé de la ruine par le préfet de la Savoie Eugène Guiter, qui le racheta le 16 août 1869 et commença à le restaurer. Aujourd’hui, Miolans appartient toujours à ses descendants.